Patrimoine
Démembrement de propriété
Travaux d’aménagement réalisés par l’usufruitier : attention à la donation indirecte en l’absence de contrainte de bail
La réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration sur un immeuble peut constituer une donation indirecte au profit du nu-propriétaire, peu important que ces travaux soient légalement à la charge de l’usufruitier.
Rappel des prérogatives du nu-propriétaire et de l’usufruitier sur un bien immobilier
En cas de démembrement de propriété d'un immeuble, l’usufruitier qui possède la libre jouissance du bien peut l’occuper lui-même ou le donner en location (c. civ. art. 578). En contrepartie, l'usufruitier est tenu d’entretenir l’immeuble. Si l'usufruitier laisse dépérir le bien faute d'entretien, l'usufruit peut cesser pour abus de jouissance (c. civ. art. 618).
De son côté, le nu-propriétaire supporte les grosses réparations qui s’entendent de celles des gros murs, voûtes et planchers, du rétablissement des poutres, des couvertures entières, des digues, murs de soutènement et clôture (c. civ. art. 605 et 606).
Si l’usufruitier réalise des travaux d’aménagement pendant la durée de l'usufruit…
Dans cette affaire, des parents avaient consenti une donation-partage à leurs trois enfants portant sur la nue-propriété de leur patrimoine avec réserve d’usufruit au dernier vivant, dont une maison d’habitation mise dans le lot de l’un des enfants. Concernant ce lot, le survivant des donateurs qui en avait l’usufruit a réalisé pour 922 843 de travaux d’aménagement.
Bien que s’agissant, pour partie, de travaux d’aménagement incombant légalement à l’usufruitier, les enfants non attributaires de la maison d’habitation sur laquelle ces travaux avaient été effectués, considérant qu’il y avait eu libéralité au profit du nu-propriétaire de la maison d’habitation, en ont demandé le rapport à succession au décès de l’usufruitier.
Pour rappel, le rapport à succession est un mécanisme civil qui a vocation à assurer l’égalité entre les héritiers en partant du principe que toute libéralité antérieure consentie par le défunt constituait une avance sur sa succession (c. civ. art. 843).
S’en est suivi un contentieux sur le règlement de la succession.
…attention à la donation indirecte à l’extinction de l’usufruit
En appel, les juges ont relevé que l’usufruitier avait entrepris des travaux de rénovation sur la propriété afin de rendre habitable cet ancien logement de garde, resté longtemps désaffecté. Ils ont constaté que l’usufruitier avait non seulement pris en charge des travaux incombant au nu-propriétaire, mais également des travaux d’aménagement (électricien, plombier, interphone, restauration de façade, éclairage, ravalement, rénovation d’appartement…) relevant de la charge de l’usufruitier.
Concernant ces travaux d’aménagement, les juges d’appel ont estimé qu’ils n’étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail ou par une obligation légale de rénovation, et que l’usufruitier n’en avait tiré aucune contrepartie à son bénéfice.
Ils en ont déduit qu’en financement l’ensemble des travaux, l’usufruitier s’était appauvri, dans une intention libérale, au profit du nu-propriétaire.
Il y avait donc libéralité consentie au nu-propriétaire, de sorte que la somme correspondante devait être rapportée à la succession.
Le nu-propriétaire s’est alors pourvu en cassation au motif que les travaux d’aménagement incombant légalement à l’usufruitier, il ne pouvait en devoir le rapport à succession une fois l’usufruitier décédé.
Pour la Cour de cassation, la réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration valorisant le bien n’est pas exclusif d’un dépouillement dans une intention libérale, peu important que ceux-ci soient légalement à la charge de l’usufruitier.
Pour aller plus loin :
« Donations et successions », RF 2023-6, § 603
Cass. civ., 1re ch., 23 octobre 2024, n° 22-20879