Fiscal,Patrimoine
Revenus de capitaux mobiliers
Abus de droit caractérisé même en présence d’un montage inutile
La circonstance que le contribuable aurait pu, en opérant d'autres choix fiscaux, appréhender la trésorerie d’une société française en franchise d'impôt est sans incidence sur l'existence d'un montage artificiel (une holding luxembourgeoise interposée) et sur le droit de l'administration de l'écarter comme ne lui étant pas opposable.
Les faits
Dans l’affaire, deux frères détenaient les parts d’une société française. En mars 2009, ils ont apporté l'intégralité de leurs parts (pour une valeur totale de 7 M€) à la société luxembourgeoise qu’ils avaient créée pour l’occasion. La filiale française a ainsi distribué à sa société-mère luxembourgeoise des dividendes importants au cours des exercices 2009, 2010 et 2011. La luxembourgeoise a en outre bénéficié, au cours de l'exercice clos en 2011, de la réduction du capital de la société française à hauteur d’environ 2M€. Le capital de la société luxembourgeoise a été ensuite réduit en 2012 et en 2015 de 10 % et de 80 %. A l'issue de ces opérations, les frères ont chacun pu appréhender la somme de 3,2M€ euros en exonération d’IR.
Écartant l'interposition de cette société comme ne lui étant pas opposable car constitutive d’un abus de droit (LPF art. L. 64), l'administration fiscale a regardé les dividendes versés par la société française au titre de ces années comme ayant été directement distribués aux associés et imposable comme des revenus de capitaux mobiliers (CGI art. 109, 1.2).
Caractérisation de l’abus de droit par fraude à la loi
Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles (LPF art. L. 64).
En l’espèce, l’administration fiscale estimait que la société luxembourgeoise était dépourvue de substance économique réelle et que son interposition entre ses associés et la société française présentait le caractère d'un montage artificiel réalisé dans le but exclusif de permettre aux associés de s'approprier en franchise d'impôt le produit de la cession des actifs de la société française via la holding luxembourgeoise.
La question du gain fiscal
L’abus de droit ne peut être reconnu qu’en présence d’un gain fiscal. Ainsi, l’administration ne peut pas écarter, au motif qu'ils procéderaient d'un abus de droit, des actes qui, bien qu'uniquement inspirés par le motif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable, sont, en réalité, dépourvus d'incidence sur cette charge.
Au cas présent, le contribuable considérait qu’il n’y avait pas de gain fiscal, arguant qu'il aurait eu la possibilité d’obtenir le même résultat fiscal au moyen d'un rachat par la société française de ses propres titres suivi de leur annulation, lui permettant d'appréhender en franchise d'impôt la trésorerie de cette société, compte tenu du montant élevé des droits de mutation à titre gratuit acquittés lors de l'entrée de ces titres dans son patrimoine, venant majorer leur prix de revient.
Pas d’examen des autres choix fiscaux possibles
Le Conseil d’État a donné raison à l’administration fiscale. La circonstance que le contribuable aurait pu réduire l’imposition de manière identique en faisant le choix de passer ou de réaliser d'autres actes que ceux qualifiés d’abusifs n'est pas de nature à faire obstacle à ce que soient écartés comme procédant d'un abus de droit des actes passés ou réalisés dans le seul but d'atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable.
Pour aller plus loin :
- voir « Dictionnaire fiscal » 2023, § 50905
CE 12 décembre 2023, n° 470038 et 470039
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