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Donations et successions

Quasi-usufruit et dette de restitution : Bercy et le nouveau dispositif anti-abus

L’instauration par la loi de finances pour 2024 d’un dispositif anti-abus visant à interdire, sur le plan fiscal, la déductibilité des dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d'argent dont le défunt s'était réservé l’usufruit a suscité de nombreuses interrogations. L’administration fiscale apporte des précisions bienvenues.

Nouveau dispositif anti-abus issu de la loi de finances pour 2024 : rappel

Afin de dissuader le recours aux donations de sommes d'argent dont le défunt s'était réservé l'usufruit, la loi de finances pour 2024 prévoit que certaines dettes de restitution exigibles au décès du donateur ne sont plus déductibles de l'actif successoral pour le calcul des droits de succession (loi 2023-1322 du 29 décembre 2023, art. art. 26, I ; CGI art. 774 bis, I ; voir FH 4019, §§ 4-10 à 4-12).

Précisions concernant le champ d’application du dispositif

Date d’entrée en vigueur :

L’administration fiscale confirme que ces nouvelles dispositions s'appliquent aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023. Elles visent donc les dettes de restitution exigibles à cette date.

Dettes non déductibles de plein droit :

L’article 774 bis, I du CGI vise les dettes de restitution exigibles afférentes à une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit.

L’administration fiscale précise que ces dispositions concernent ainsi :

-les dettes de restitution résultant du don de la nue-propriété de sommes d’argent (chèque, virement, mandat ou remise d’espèces) dont le défunt s’était réservé l’usufruit (CGI art. 774 bis I, al. 1) ;

-mais également les dettes de restitution résultant de la donation de biens avec réserve d’usufruit suivies de la cession de ces biens avec report de l’usufruit sur tout ou partie du prix de vente lorsqu'elles sont contractées dans un objectif principalement fiscal (CGI art. 774 bis, I. al. 2).

En revanche, ne sont pas visées par le dispositif anti-abus :

-les dettes de restitution qui ne portent pas sur une somme d’argent. Il en va ainsi lorsque les droits d’usufruit et de nue-propriété font l’objet d’une clause de remploi dans l’acquisition d’un bien démembré en cas de cession ou lorsque la convention de quasi-usufruit porte sur un bien démembré autre qu’une somme d’argent (comme un contrat de capitalisation, des valeurs mobilières, des crypto-actifs, un compte courant d’associé, …) ;

-les dettes de restitution qui portent sur une somme d’argent pour laquelle le défunt n’a pas été à l’initiative du quasi-usufruit (cas de l’usufruit légal applicable à l’indemnité d’expropriation d’un bien démembré ou d’une indemnité d’assurance faisant suite à la destruction du bien démembré, ou à la distribution de dividendes prélevés sur les réserves) ;

-les dettes de restitution qui portent sur une somme d’argent dont l’usufruit n’a pas été constitué par rétention par le défunt (cas du défunt institué par le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie comme bénéficiaire en usufruit des sommes dues au titre du dénouement du contrat).

Dettes déductibles sous conditions :

L’article 774 bis, I. al. 2 du CGI prévoit que sont déductibles les dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié qu’elles n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal.

Sont ainsi visées les dettes résultant de la cession d’un bien dont le défunt s’était préalablement réservé l’usufruit ou de toute autre opération assimilable par laquelle le bien sur lequel le défunt s’était réservé l’usufruit est liquidé sous forme d’une somme d’argent (paiement ou remboursement d’une créance, rachat d’un contrat de capitalisation, par exemple) avec report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de la liquidation (clause de quasi-usufruit).

Pour pouvoir prétendre à la déductibilité de la dette, il incombe au redevable d’être en mesure de justifier que celle-ci n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal par la méthode du faisceau d’indices tenant compte notamment :

-du temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien démembré ou de l’opération assimilable (une durée courte entre ces deux évènements est susceptible d’être regardée comme poursuivant un but principalement fiscal) ;

-des motivations patrimoniales de la cession du bien ou de l’opération assimilable (par exemple, pour pallier l’insuffisance de liquidités nécessaires pour s’acquitter de dépenses d’hébergement de l’usufruitier) ;

-du degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de l’opération assimilable.

Dettes déductibles de plein droit :

Si l’article 774 bis du CGI, I du CGI précise que les dettes d’usufruit d’origine successorale du conjoint survivant (CGI art. 757 et 1094-1) ne sont pas concernées par la non-déductibilité, l’administration fiscale y ajoute celles résultant de l’exercice d’un avantage matrimonial ou d’un préciput convenu dans le contrat de mariage (c. civ. art. 1515). Demeurent également déductibles de plein droit les dettes de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit en tant que légataire ou donataire à cause de mort de son partenaire de Pacs ou de son concubin prédécédé.

Précisions concernant la liquidation des droits de mutation par décès

L’article 774 bis, II du CGI prévoit que, par dérogation à l’article 1133 du CGI, la valeur correspondant à la dette de restitution non déductible de l’actif successoral donne lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs (cas où les ayants-cause du nu-propriétaire prédécédé ne viennent pas en représentation de ce dernier à la succession de l’usufruitier).

L’administration fiscale précise qu’en présence de plusieurs héritiers, la réintégration ne pèse que sur le nu-propriétaire.

Ainsi :

-l’actif successoral doit être réduit du montant de la dette de restitution ;

-la somme correspondant à la dette de restitution est imposable entre les mains du nu-propriétaire (même s'il ne vient pas à la succession) après imputation des droits de donation déjà acquittés lors de la donation avec réserve d’usufruit.

L’imputation des droits déjà acquittés sur les droits de succession dus par le nu-propriétaire créancier de la dette de restitution est applicable même si les droits de donation ont été acquittés par le donateur.

Enfin, dans l’hypothèse où l’actif successoral ne permet pas au nu-propriétaire de recouvrer totalement sa créance ou, à tout le moins, ne lui permet de la recouvrer que partiellement, celle-ci ne sera pas imposable à concurrence du montant irrécouvrable.

Pour aller plus loin :

« Donations - Successions », RF 2023-6, § 4100

Actualité BOFiP du 26 septembre 2024

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