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Droits sociaux démembrés et bénéficiaire de la distribution : trois décisions / trois chambres

Après s’être prononcé en 2015 et 2016 sur le bénéficiaire du dividende prélevé sur les réserves en cas de démembrement de droits sociaux, la Cour de cassation s’attaque en 2024 au bénéficiaire du dividende prélevé sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI.

Dividende prélevé sur les réserves : la première chambre civile et la chambre commerciale s’opposent

Rappel sur les différentes possibilités d’affecter le résultat

L’usufruitier qui dispose du droit de vote en matière d’affectation des résultats peut décider (c. civ. art. 1844) :

-soit de les distribuer ;

-soit de les mettre en report à nouveau ou en réserves et décider ultérieurement de leur mise en distribution, le cas échéant.

En principe, l’usufruitier a droit aux bénéfices distribués de l’exercice qui participent alors de la nature de fruits (cass. com. 10 février 2009, n° 07-21806 ; c. civ. art. 582).

Si ce principe s’applique sans réserve concernant les dividendes prélevés sur les bénéfices courants, la doctrine est partagée concernant le bénéficiaire des dividendes prélevés sur les résultats exceptionnels.

En revanche, l’usufruitier comme le nu-propriétaire n’ont aucun droit sur les bénéfices en instance d’affectation (report à nouveau) ou sur ceux mis en réserve qui appartiennent à la société.

Dividendes prélevés sur les réserves : solution incertaine quant au bénéficiaire

Lorsque l’assemblée décide de mettre en distribution les réserves, la jurisprudence considère que ces dividendes constituent, non pas des fruits, mais l'accroissement de l'actif social. Cependant, si ce point est acquis, la solution reste incertaine quant au bénéficiaire de ces réserves distribuées. En effet, selon les chambres de la Cour de cassation, les réserves distribuées reviennent :

-pour la chambre commerciale, au nu-propriétaire, mais l'usufruitier dispose d'un droit de jouissance sous la forme d’un quasi-usufruit, conformément à l’article 587 du code civil (cass. com. 27 mai 2015, n° 14-16246) ;

-pour la première chambre civile, au seul nu-propriétaire (cass. civ., 1re ch., 22 juin 2016, n° 15-19471).

Enfin, si la chambre commerciale de la Cour de cassation prévoit la possibilité d'une répartition conventionnelle différente entre le nu-propriétaire et l'usufruitier, la possibilité d’une répartition conventionnelle différente n’est pas évoquée par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Dividende prélevé sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI : la troisième chambre civile se prononce

Les faits : cession des actifs immobiliers de la SCI sans dissolution

Le capital d’une SCI est réparti entre plusieurs titulaires : certains détiennent des parts en pleine propriété, d’autres en nue-propriété et d’autres en usufruit.

Par délibérations de l’AGE, il a été décidé de la vente de la totalité des biens immobiliers dont la SCI était propriétaire, et de la distribution du produit de la cession entre les mains des usufruitiers sans dissolution de la société.

L’un des associés a alors agi en nullité de ces délibérations et demandé à voir prononcer l’extinction de l’usufruit grevant les parts du gérant pour abus de jouissance conformément à l’article 618 du code civil. Selon lui, le résultat exceptionnel constitué de la vente de l’unique bien de la SCI n’était pas un bénéfice lié à l’activité courante et n’avait pas vocation à être distribué aux usufruitiers.

La solution : le dividende prélevé sur le prix de cession revient au nu-propriétaire mais l’usufruitier dispose d’un quasi-usufruit

Après avis de la chambre commerciale, la troisième chambre civile de la Cour de cassation confirme que, la distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit en ce qu’elle compromet la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés.

En cela, cette distribution du prix de cession n’est pas un fruit ayant vocation à être distribué aux usufruitiers.

Il en résulte que ce dividende revient au nu-propriétaire mais sous le droit de jouissance de l’usufruitier qui s’exerce sous la forme d’un quasi-usufruit sur la somme distribuée (cass. civ., 3e ch., 19 septembre 2024, n° 22-18687).

L’usufruit portant sur une somme d’argent, l’usufruitier a donc le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, une créance de restitution au nu-propriétaire.

Par conséquent, la décision à laquelle a pris part l’usufruitier, de distribuer les dividendes sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI, sur lesquels il jouit d’un quasi-usufruit, ne peut être constitutive d’un abus d’usufruit.

La Cour de cassation précise que cette répartition est supplétive de la volonté des parties. Dès lors, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent prévoir par convention entre eux, une répartition différente.

À noter :

Lorsque l’immeuble est détenu en direct :

-l’usufruitier perçoit seul les revenus ;

-le prix de cession de l’immeuble est réparti entre le nu-propriétaire et l’usufruitier (c. civ. art. 621) sauf convention de remploi ou de quasi-usufruit.

cass. com. 27 mai 2015, n° 14-16246 ; cass. civ., 1re ch., 22 juin 2016, n° 15-19471 ; cass. civ., 3e ch., 19 septembre 2024, n° 22-18687

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