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Patrimoine,Fiscal Plus-values des particuliers Changements en perspective dans la fiscalité des plus-values en report d’imposition : point de vue de Me Nicolas CANETTI, avocat associé, spécialiste en droit fiscal Dans un arrêt en date du 18 septembre 2019 rendu dans deux affaires jointes C-662/18 et C-672/18, la Cour de Justice de l’Union Européenne a invalidé les modalités de taxation applicables en France en matière de plus-values en report d’imposition.
Rappel des mécanismes du report d’imposition en cas d’apport de titres à une société IS (optionnels ou obligatoire) : Cristallisation de la plus-value d’échange lors de l’échange : Pour mémoire, le mécanisme du report d’imposition concerne les plus-values constatées lors d’une opération d’échange de titres à l’occasion de laquelle le contribuable est tenu de calculer et de déclarer une plus-value d’échange (différence entre le prix d’acquisition initial des titres remis à l’échange et leur valeur d’échange), sans pour autant que cette plus-value fasse l’objet d’une taxation immédiate : son imposition est reportée à un évènement ultérieur, généralement la cession des titres obtenus lors de l’échange. En pratique, les contribuables qui détiennent aujourd’hui des titres grevés d’une telle plus-value en report d’imposition sont essentiellement ceux : -qui ont fait un échange de titres sous l’empire ancien des articles 92 B II et 160 I ter du CGI avant le 1er janvier 2000, date à laquelle ces régimes optionnels de report d’imposition ont été remplacés par le régime actuel du sursis d’imposition (qui s’applique de plein droit et ne donne pas lieu à la déclaration d’une plus-value intercalaire) ; -ou qui ont procédé à compter du 14 novembre 2012 à une opération soumise à l’article 150-0 B ter du CGI. Cette disposition a en effet réintroduit un mécanisme de report d’imposition s’appliquant, obligatoirement cette fois, aux apports de titres à une société contrôlée par l’apporteur (les autres opérations d’échange de titres restant soumises au régime de droit commun du sursis d’imposition). Règles de taxation différentes à l'expiration du report selon que le report est optionnel ou obligatoire : Le principe général de taxation des plus-values en report d’imposition initialement dégagé par la jurisprudence consistait à appliquer le taux d’imposition en vigueur lors de l’évènement mettant fin au report, et non pas celui qui était en vigueur lors l’opération d’échange (CE, 10 avril 2002, n° 226886, de Chaisemartin). L’application de cette règle a toutefois entraîné, pour les expirations intervenues entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, une distorsion importante conduisant à faire subir à ces plus-values l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu (au taux marginal de 45 %), tout en privant cette taxation du bénéfice des abattements pour durée de détention (qui étaient pourtant destinés à en atténuer les effets) dès lors que ces abattements ne sont pas considérés comme une règle de taux mais comme une règle d’assiette et qu’ils n’existaient pas à la date de l’opération d’échange (antérieure à 2013). Le Conseil Constitutionnel saisi du sujet ne s’est pas ému de cette situation s’agissant des reports d’imposition optionnels antérieurs au 1er janvier 2000 (le contribuable étant réputé avoir, par l’exercice d’une option, accepté l’aléa attaché aux modalités de taxation futures) (C. constit. , décision 2016-538 QPC du 22 avril 2016). Il a, en revanche, reconnu aux contribuables soumis de plein droit au report d'imposition obligatoire (CGI art. 150-0 B ter), une expectative légitime de bénéficier des modalités de taxation qui étaient en vigueur lors de la constatation « forcée » de leur plus-value. Le législateur a donc adapté le régime d’imposition découlant de l’article 150-0 B ter du CGI (et lui seul) pour prévoir l’application systématique, lors de l’expiration du report d’imposition, des modalités « historiques » de taxation, le cas échéant, par détermination d’un taux moyen résultant de la combinaison du barème progressif et des abattements qui étaient applicables lors de l’apport (CGI art. 200 A, 2 ter.a). La situation continuait toutefois à léser : -de manière évidente, les contribuables détenteurs de titres grevés d’une plus-value en report optionnel constatée avant le 1er janvier 2000 et ayant expiré avant le 1er janvier 2018. Ces plus-values ont en effet fait l’objet d’une imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu sans autre correctif que l’application (peu efficace en pratique) d’un coefficient d’érosion monétaire. Pour les expirations survenues à compter du 1er janvier 2018, il semble en revanche, sous réserve de commentaires administratifs à intervenir, que le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flat tax » de 12,8 %) puisse s’appliquer sans difficulté aux plus-values dont le report d’imposition expire, en application de la jurisprudence de Chaisemartin précitée. -de manière incidente, les détenteurs de titres grevés d’une plus-value en report obligatoire de l’article 150-0 B ter du CGI, qui peuvent, quant à eux, regretter que la cristallisation des modalités d’imposition qui étaient en vigueur lors de l’opération d’apport ne les prive de la possibilité de bénéficier pour l’avenir de modalités d’imposition plus favorables (ce qui est généralement le cas du PFU applicable depuis le 1er janvier 2018 au lieu du barème progressif…) Incompatibilité des règles d’imposition avec l’impératif de neutralité fiscale des opérations d’échange au regard de la Directive fusions : Ces contribuables pouvaient toutefois reprocher à la France de ne pas se borner à faire une application pure et simple des modalités d’imposition de droit commun des plus-values existant au jour de leur taxation effective. En effet, les dispositions de l’article 8 de la directive « Fusions » n° 2009/133/CE prescrivent un principe général de neutralité consistant à taxer la plus-value attachée à des titres issus d’un échange « de la même manière » qu’aurait été taxée la plus-value réalisée directement sur les titres initiaux si ceux-ci n’avaient pas fait l’objet d’une telle opération. La CJUE a donc constaté une incompatibilité en confirmant que les dispositions de la Directive exigent que « dans le cadre d’une opération d’échange de titres, [il] soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d’imposition ainsi qu’à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d’imposition et de l’application d’un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l’opération d’échange, si celle-ci n’avait pas eu lieu ». Il est à noter qu’à ce jour, la décision de la CJUE ne peut s’appliquer directement qu’aux contribuables dont l’opération d’échange de titres se situait dans le champ d’application de la Directive, ce qui exclut notamment les opérations purement nationales (la Directive ne visant que les opérations dites « transfrontalières ») ainsi que les opérations d’échange qui n’ont pas conféré le contrôle de la société apportée à la société bénéficiaire de l’apport. Ceci étant dit, il y a tout lieu de penser que la solution de la CJUE sera très prochainement étendue à toutes les opérations d’échange par le Conseil Constitutionnel afin d’éviter, dans la lignée de sa jurisprudence Métro Holding (C. constit., décision 2015-520 QPC du 3 février 2016), une discrimination « à rebours » consistant à favoriser certaines opérations sur la base de critères qui n’avaient pas été retenus en premier lieu par le législateur national comme devant entraîner l’application d’une fiscalité distincte . Pour aller plus loin : « Titres des dirigeants : quelle fiscalité ? », RF 2018-4, §§ 4500 et s. CJUE 18 septembre 2019, aff. C-662/18 et C-672/18
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Date: 23/11/2024 |